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Malala Andrialavidrazana

A propos de...

Malala Andrialavidrazana, Figures 1853, Kolonien in Afrika und in der Süd-See, 2016
Tirage pigmentaire sur papier Hahnemühle Cotton Rag, 110 x 151,5 cm

Centre Culturel Jean-Cocteau · Malala Andrialavidrazana


Le titre de cette œuvre en français est « Figure 1853, Colonies en Afrique et en mer du Sud ». 1853 est la date de la carte qui m’a servi de support et le titre en allemand est celui qui lui a été donné par le cartographe Adolf Stieler (1775-1836) qui l’a réalisée et publiée. Cette carte est très importante dans l’histoire des conquêtes territoriales. Toutes les propositions de la série Figures prennent comme point de départ les cartes qui contiennent des informations problématiques, qui interrogent. L’idée de la série est de venir proposer, à travers le collage numérique, un récit alternatif à ceux qui ont été transmis par les pouvoirs dominants. 

En 1853, nous  sommes  trente  ans  avant  la conférence de Berlin, qui a lieu en 1884-1885. Cette conférence est le moment où les empires occidentaux décident de se partager l’Afrique, avec cette idée qu’il s’agit d’une terre sans maître. C’est une idée qui existe dès les mappemondes de Mercator à la fin du XVIe siècle, qui projette une grande disparité du territoire  en  représentant  l’Afrique  avec  une  superficie  bien  inférieure  à celle des continents de l’hémisphère nord. Cela traduit déjà un mépris et un préjugé envers ce territoire. Dans l’état d’esprit des explorateurs ou vampires occidentaux, l’exploration cache une volonté de domination. 

La carte est peuplée d’icônes qui portent chacune plusieurs significations. Les grues, oiseaux migrateurs, sont emblèmes de la vie, de la libre circulation. Tels ces oiseaux, il est naturel que l’on puisse circuler, aller à la rencontre de l’autre. Ils représentent cette liberté, également propre à Neptune, le dieu des mers, figure mythologique associée aussi au tremblement de terre qui secoue les esprits. Neptune est très souvent représenté avec les dauphins et incarne la circulation dans les océans, dans un esprit de rencontre, sans arrière-pensée de domination. J’ai l’impression que, souvent, quand les gens voyagent, ils ne sont pas dans un système d’échange ou de rencontre mais plutôt de profit, de consommation, vis-à-vis de l’autre. Les voyageurs poursuivent dans leurs déplacements cet état d’esprit dominateur.

Dans une autre partie de l’image émerge le conquérant turco-ottoman Tamerlan (1336-1405). Sur son cheval, ce guerrier guide une troupe de soldats internationaux avec l’ambition d’étendre son empire. Un trio d’animaux originaires d’Inde garde la partie basse de la carte, tels des géants : le rhinocéros, le tigre et l’éléphant. Dans la culture asiatique, l’éléphant est un animal sacré incarnant la sagesse. Le rhinocéros représente la liberté. Ces deux dernières années, on n’a pas beaucoup voyagé mais il y a encore des personnes qui voyagent pour découvrir un monde qu’ils considèrent comme inférieur. Pauvre, sauvage, l’inverse d’eux-mêmes… Beaucoup de récits sont à récrire pour pouvoir arriver à un niveau d’échanges d’égal à égal. Derrière le trio des géants indiens se trouve une architecture inspirée d’un billet de banque. Il s’agit du siège de la banque nationale belge qui a financé et s’est enrichie de la politique coloniale du pays. Le roi Léopold II de Belgique a été l’un des colonisateurs plus féroces. Il considérait le Congo comme sa propriété. 

Dans cette œuvre, toutes les figures qui peuplent la carte proviennent de billets de banque ou de timbres. Le rapport à ces archives est intéressant car ce sont des collections qui sont assez répandues et partagées par des personnes de différentes générations, de différentes catégories sociales. Pour moi, c’est très important d’utiliser comme matrices des pièces originales. Les représentations que véhiculent ces documents, modulées par les pouvoirs, impriment l’imaginaire d’énormément de personnes. Mon travail consiste à détourer et détourner ces images de propagande intellectuelle et politique : j’extrais des détails, travaille leur échelle et écris de nouveaux récits.