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Hugo Deverchère

A propos de...
Hugo Deverchère, La Isla De Las Siete Ciudades, 2021-22
Verre soufflé, acier, tuyaux, pompes, roches, sel, composés organiques, minéraux et végétaux du Rio Tinto, du lac de Torrevieja et du Calar Alto, vent, lumière, dimensions variables
 
 
Le public est invité à circuler dans cette installation dont le titre, La Isla De Las Siete Ciudades, se réfère à un archipel fictif apparu sur des cartes maritimes du XVème et XVIème siècles. Représentées à chaque fois sous des formes différentes, ses îles dérivent dans l’Océan Atlantique au fil des années et des cartographies, des Canaries à la mer des Caraïbes, jusqu’à disparaitre.
 
Cet archipel fait partie de l’horizon fantasmé qui accompagne la colonisation européenne du continent américain, il est à l’origine par exemple du mythe des sept cités d’or. Les récits de l’époque le décrivent comme un monde riche en pierres précieuses et nouveaux matériaux. Au fil de mes recherches, j’ai découvert que plusieurs historiens contemporains émettent l’hypothèse que les descriptions de ces territoires fictifs sont inspirées par des lieux bien réels de la péninsule Ibérique, entre l’Espagne et le Portugal. Je suis donc parti mener ma propre exploration, en traversant ces territoires qui ont des particularités climatiques, géologiques, et biologiques qui sont analysées par des scientifiques qui étudient la possibilité de formes de vie extra-terrestres. La mine du Rio Tinto par exemple, la source de ce fleuve rouge chargé en oxyde de fer, qui lui confère une allure martienne, est étudiée aujourd’hui par des exobiologistes dans le but de comprendre les mécanismes possibles d’apparition de la vie sur Mars. Ou le Lac du Torrevieja, dont les eaux sont roses à cause d’une bactérie qui sécrète un pigment permettant à des micro-organismes de s’y développer. Ou encore le mont Calar Alto, sur lequel est aujourd’hui implanté un observatoire qui fait partie du grand réseau européen de détection des exoplanètes. Le lien entre ces territoires “matrices” de l’archipel fantôme et les recherches autour de la découverte de nouvelles planètes m’a semblé évident : le fantasme du nouveau monde s’est deplacé des océans vers le cosmos et la découverte des exoplanètes.
 
A partir de ces recherches, j’ai tracé une nouvelle cartographie qui relie ces mythes anciens à la recherche de nouveaux mondes spatiaux. Dans mon travail, de manière récurrente, je traite l’espace et le territoire comme une bulle spatio-temporelle complexe qui permet de voir en simultanée le présent, le passé et un futur possible. Après m’être approprié des territoires à travers des explorations photographiques (un exemple est exposé dans la salle suivante), j’ai recueilli la matière constitutive de ces différents milieux naturels : le cuivre, le fer, la pyrite… Une fois rentré à l’atelier, j’ai recomposé ces matériaux hétérogènes pour produire des réactions et constituer un nouveau paysage : mon installation. Son sol est complètement  recouvert  de  sel,  élément  commun  à tous les paysages que j’ai traversés. 
 
Des sculptures s’y érigent, composées de pierres et de fluides circulant dans du verre soufflé par un réseau de tuyaux. En gouttant, ces eaux chargées en éléments minéraux et organiques permettent au paysage de se reconfigurer sans cesse. 
Le jardin d’hiver ajoute de nouvelles strates de lectures à l’installation, notamment avec la présence du végétal qui contribue à créer un écosystème avec son propre microclimat. Ses colonnes accentuent le potentiel fictionnel de ce territoire, en y incluant une dimension métaphysique et atemporelle. Elles soutiennent encore plus mon intention de questionner les limites entre un territoire réel et un espace-temps imaginaire.
 
Dans ce travail, l’humain est effacé et ne reste que dans le creux du paysage. Ce qui m’intéresse, c’est de remettre en cause la vision anthropocentrique du monde. J’essaie de la contrebalancer en mettant en jeu d’autres puissances, celles du minéral, de la chimie, de la physique, du micro-organisme, de toute forme de vie que je traite sur le même plan, sans faire de distinction ni de hiérarchie.
 


Hugo Deverchère, Excavation#01
, 2021
Tirage pigmentaire sur papier Hahnemühle Photo Rag Ultra Smooth, 154 x 229cm
 
 
Dans le cadre du projet La Isla De Las Siete Ciudades présenté dans le jardin d’hiver, je me suis rendu en Espagne, le long du Rio Tinto, à la recherche de territoires qui ont été à l’origine de nombreuses cartographies mythiques du XVème siècle, comme celle de l’archipel des sept cités d’or. J’ai commencé par y prendre des photos. C’est avec la distance des images que j’arrive à m’approprier les lieux. La photographie Excavation#01 fait partie de cette phase de recherche. On est face à la mine du Rio Tinto avec ses cratères formés par l’activité humaine d’extraction de minéraux. Une étrangeté se dégage très vite de l’image du fait de sa très haute définition et de son niveau de détail, qui ne correspond pas à la façon avec laquelle notre œil perçoit habituellement le paysage. J’ai créé ce trouble en empruntant une technique utilisée en astrophotographie, qui consiste à combiner plusieurs centaines, voire milliers d’images pour parvenir à une sorte de vision surhumaine, plus proche de la machine et des outils scientifiques que de l’œil humain. Le paysage devient plus réel que le réel : on en vient presque à douter de l’existence et de la réalité de ce qu’on est en train de voir. Cela m’intéressait dans le rapport à la fiction autour des histoires de l’archipel fantôme.
 


Hugo Deverchère, Event #01, 2021
Tirage pigmentaire sur papier hahnemühle Photo Rag Ultra Smooth 
 
 
Par un pur hasard, mon séjour sur le site de la montagne de Calar Alto, “la montagne qui brille”, coïncidait avec le passage de la comète Neowise : un événement astronomique incroyable, car on pouvait observer à l’œil nu le surgissement d’un phénomène qui parait irréel et stimule énormément l’imaginaire. Un phénomène que je n’avais jusqu’alors pu voir que sur des images surgit tout d’un coup dans le ciel et devient réel. Aux XVème et  XVIème siècles, quand on part à la recherche et à la conquête de l’ailleurs, la navigation se fait à l’aide des étoiles. Le passage de cette comète me poussait encore plus dans cette fiction, brassant le temps présent avec le passé, la réalité avec l’imaginaire.