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Etienne de France

A propos de...
Etienne de France, Exploration of a Failure, 2013
Vidéo HD, couleur, son stéréo, 24’’
Série de dessins, crayons sur papier, 29,7 x 21 cm
 
 
Exploration of a Failure est une œuvre composée d’un ensemble de dessins et d’une vidéo d’une vingtaine de minutes qui raconte la performance que j’ai réalisée avec un ami en 2013. Notre objectif était de relier à pied le domaine de Chamarande, un centre d’art situé dans l’Essonne, à ma maison en Bourgogne, un lieu qui m’est particulièrement cher. Le protocole - la règle que je m’étais fixée - était de marcher sur cette distance de 200 km en essayant d’éviter tout aménagement anthropique : chemins, routes, zones urbaines ou villages. Je voulais prendre acte que nous vivons dans un monde façonné par un ensemble de données cartographiques qui traduisent des limites, des frontières, des séparations, en particulier liées à la notion de propriété privée.
 
Les dessins exposés sont ma tentative de créer une cartographie à rebours de ce parcours. Il s’agit d’une cartographie simple, qui utilise uniquement deux valeurs : le vert indique les zones végétales, les forêts, les bosquets, les haies ; le jaune symbolise les routes, les champs, les zones urbaines. Avant la marche, j’avais imaginé que nous pourrions nous repérer uniquement avec ces cartes/dessins et en regardant le paysage. Elles constituent une sorte de résistance à la surreprésentation de l’hyper-cartographie, dans laquelle nous sommes localisés en permanence. Je voulais nous repositionner par rapport à ce qu’on voit, à ce que l’on sent, retrouver des possibilités sensorielles. Finalement, pendant les cinq jours de marche, nous avons dû nous plier à l’utilisation du GPS de mon téléphone. Nous ne sommes plus entrainés à nous représenter l’espace : sans ces outils, on est vite perdus. 
 
Le titre de l’œuvre se traduit par « exploration de l’erreur ». Par erreur, on peut entendre plusieurs choses. Elle renvoie la notion d’errance, qui partage la même racine latine. C’était la base de notre protocole, qui nous ancrait dans des pratiques de l’histoire de l’art du XXème siècle, comme la dérive situationniste et le Land Art. Mais elle affirme en même temps une forme de distance, d’ironie, vis-à-vis de ce protocole artistique qui risque parfois d’être prétentieux. Ici, il est voué à l’échec : les rails, les rivières et d’autres endroits étaient infranchissables. Quand on s’est rendu compte qu’on n’y arriverait pas, on a décidé de faire du stop sur certaines portions du parcours. 
 
En revanche, d’autres pensées ont émergé. Que peut produire cette expérience physique et sensorielle du territoire par rapport à une forme de rationalisation de l’espace ? Peut-elle être une forme de résistance par sa lenteur et son absurdité ? La vidéo raconte cette réflexion. Elle est structurée en trois chapitres qui mélangent voix in et off dans un montage avec plusieurs registres narratifs et trois points de vue. Dans la première partie, une voix féminine lit une lettre qui évoque un voyage onirique. Ça correspond à la première vision que j’avais de cette performance : une vision rêvée, littéraire, poétique de ce protocole, de cette expérience que j’avais fantasmée. Le deuxième chapitre change de langage : j’abandonne la poésie pour relater la prise de conscience avec mon camarade de voyage, et l’échec qui se profilait. Il y a du ridicule, des blagues : on déconstruit le protocole. Enfin, dans le troisième chapitre, je développe un essai plus réflexif, qui remprunte le langage poétique pour tenter de synthétiser le sens de cette performance et ses paradoxes. Le géographe David Harvey, l’un des initiateurs de la géographie radicale, affirme qu’il est nécessaire de prendre acte de la domination économique du territoire, tout en rappelant que des poches de résistance peuvent y exister : les « zones d’espoir ». C’est cet aspect qui m’intéresse : ce qui se passe quand on expérimente physiquement ces zones-là, quelles relations peuvent s'y tisser, et quelle forme de résistance collective leur traversées et occupation peuvent engager.