Un site de la Ville des Lilas

Audioguide - André André

Centre Culturel Jean-Cocteau · André André, dessins

 

Je suis Sarah André. Depuis 2012 j'ai un travail de dessin et de petites phrases que j'édite chez les Éditions Ripopée à Nyon. Après mon école d'arts plastiques, j'avais envie de travailler avec des gens et des histoires. Ce qui me passionne vraiment, c'est l'interaction entre les objets et la narration, ou l'image et la narration. Je travaille maintenant principalement dans le théâtre avec la compagnie Old Masters. J’adore le fait de travailler avec d'autres personnes tout en ayant toujours besoin de garder un travail personnel. Ces dessins sont la graine de ma pratique, comme beaucoup de gens je pense qui commencent la création par le dessin. C'est l'essence de la création et la manière la plus simple de transmettre ou de faire apparaître une image qu'on a dans la tête. C’est très simple mais ce pouvoir du dessin est magique.

Mon travail au théâtre demande beaucoup plus de place, de moyens, liés aux productions en trois dimensions qui nécessitent du matériel, du temps. Pour mes dessins, je n’ai besoin que d’un carnet dans mon sac et des stylos, des crayons. Donc j’ai continué à dessiner de manière très libre, ce qui est aussi génial. Je n’ai aucune pression sur la valeur de ce que je fais puisque cela n’engage que très peu de temps et de moyens. Je n’avais pas l’intention de les faire vivre autrement mais je les ai montrés à des amis qui ont une maison d'édition et ils m'ont proposé de les éditer. Je me suis rendue compte que ces phrases très simples avaient un grand pouvoir humoristique et parfois aussi philosophique et poétique. C’est en voyant la réaction du public et les échanges qu’ils ont suscité que j’ai eu envie de continuer.

Ces dessins représentent un dialogue intérieur que j’ai constamment avec moi-même et avec le monde. J’essaie de comprendre ce qui passe autour de moi en relevant ces énormes paradoxes et cette absurdité qui est aussi à la source de l'humour. Ce qui est drôle dans ce processus d'écriture, c'est qu’il est très rapide. Je passe très peu de temps à dessiner même si parfois, je peux refaire un dessin vingt fois pour être satisfaite à la fois de son aspect très brut, simple, presque comme un brouillon, mais aussi de sa nature assez précise. C'est un peu paradoxal.

Dans cette masse de dessins que je produis, les plus intéressants ne sont pas forcément ceux pour lesquels je suis convaincue de l’idée en amont mais plutôt ceux qui m'échappent, ceux dont je ne comprends pas très bien d'où ils viennent. Quand je les dessine, je ne vois pas très bien ce qui est drôle ou percutant. Mais souvent, je les retrouve des mois plus tard et j’en extrais quelques-uns pour en faire un livre. Je ne les expose que très rarement.

Ces dessins sont parallèles à mon travail au théâtre mais aussi à mon groupe de musique ou encore aux bandes dessinées que je peux faire. Durant ma formation artistique, on me demandait toujours de choisir, ce qui a toujours été très problématique pour moi. J’ai toujours voulu tout essayer. Et plus ça va et plus j'essaie plein de choses sans me limiter.

J'utilise beaucoup de media différents mais il y a quelque chose de commun. Ces dessins ont toujours eu un écho avec tout le reste et ce travail me fait du bien parce qu’il me permet d’exprimer aussi une forme de violence, de révolte ou de la tristesse. L'humour a vraiment un pouvoir libérateur, d’autant plus quand il est partagé avec le public. Cet échange me pousse à les continuer. Quand je dessine, j’essaie de ne pas penser au public mais voir sa réaction va me conforter dans ma sincérité. J'essaie d'être la plus authentique possible dans ce que je fais.

Je me suis formée en Suisse où les valeurs de devoir, de travail sont très fortes. C’est en se forçant à travailler qu’on arrive à quelque chose, idée que je questionne encore et toujours. Dans ce travail-là, j'ai vraiment une liberté où je ne me force jamais. Les seules fois où je me suis forcée, ce n’était pas très intéressant. Je laisse surgir et j'accueille ce qui apparaît. J'ai l'impression qu'il y a un temps immense dans lequel ce mouvement de pensée mature et puis d'un coup une phrase me vient et je l'écris.

Récemment, j'ai écrit une chanson dans un rêve et j'ai l'impression que j'ai le même humour, que je dis les mêmes choses, je fais les mêmes blagues dans mes rêves. Je trouve ça drôle de voir qu’à ce moment-là, dans le sommeil où on est privé de cette volonté, de ce pouvoir qu'on a la sensation d'avoir en éveil, les mêmes choses adviennent. Je me sens de plus en plus comme ça par rapport à ma création, à accueillir quelque chose qui vient puis ma volonté et mon travail le transforment. Ce que je trouve intéressant et à l’encontre d’une morale qu’on a apprise est que je travaille très peu, sans effort.

J’ai des carnets et j'écris des notes dans mon téléphone. Mais parfois pendant des mois je ne fais rien. Et puis d'un coup, il y a un moment où je vais faire une dizaine de dessins, où je reprends plein de choses. Quand je retravaille des dessins pour un livre, je retrouve des éléments qui ont plusieurs années. Ça réunit un temps de pensée qui est très long. J’ai besoin d’un temps de latence, pour laisser de la place pour que mes idées puissent advenir. Ce qui va à l’encontre de notre société utilitariste dans laquelle on essaie de produire un maximum en un minimum de temps. Et puis là d'un coup, on est dans un espace-temps qui est complètement différent et des valeurs liées au temps qui sont bouleversées.

La compagnie avec laquelle je travaille avait lu mes livres et c'est comme ça qu'ils m'ont invitée à travailler avec elleux pour écrire des pièces. J'ai essayé de commencer à écrire une pièce. J'ai écrit trois phrases absurdes et je me suis rendue compte que je n'y arrivais pas du tout. J’ai continué à travailler avec cette compagnie. On a inventé une manière d'écrire ensemble sur le plateau mais aussi à partir de mes dessins. J'ai parfois amené des dessins pour des créations. J'ai parfois dessiné à partir d'un truc qui se passait dans les répétitions de théâtre.

 Ce que je trouve vraiment assez incroyable, c'est le lien que je peux faire entre l'écriture, les typos que j'utilise et la manière de jouer d'une personne. Souvent, quand j'écris, la manière d'écrire a un ton. C'est souvent pour ça que je refais beaucoup les dessins, parce que je trouve que leur ton n’est pas adapté. Je trouve qu'on peut dire énormément de choses et avoir énormément de nuances dans le ton qu'on donne avec la façon d’écrire : si j'écris très gros ou très petit, de manière très rapide ou très lente. Idem pour les personnages, ils sont réalisés de manière simple avec très peu de traits mais souvent je les refais parce que j’ai l’impression qu’iels ne jouent pas bien. Je vais les refaire jusqu'à ce que je trouve qu'ils jouent correctement.

Je trouve génial de voir à quel point dessins et théâtre sont proches. Et plus ça va, plus il y a des liens entre mes différentes activités, entre le théâtre, le dessin, la bande-dessiné, la musique. Ça crée vraiment un espèce d'univers en trois dimensions.