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Audioguide - Anne Bourse

Centre Culturel Jean-Cocteau · Anne Bourse, deux installations

 

Dans l'ordre chronologique, la première pièce s'appelle Une minute au-dessus de ma tasse de café, je ne pense pas à toi, du tout. Ce titre est une sorte de blague, parce que le simple fait de dire « une minute je ne pense pas à toi » signifie que je suis justement en train de penser à toi. C'est une relation mélancolique à un être aimé qui n'est pas là.

J’ai commencé par faire une « poupée », même si je n’aime pas ce terme car il renvoie à l’enfance, ce qui n’est pas du tout le cas ici. Il s’agissait plutôt d’un humain en miniature avec un tee-shirt du premier album des New Order qui fait référence à la mort du chanteur de Joy Division, leur ancienne formation. Je voulais absolument refaire ce tee-shirt, j’adore refaire des choses qui existent. Je les refais très mal, je les détruis, je les déconstruis. Je détruis littéralement un t-shirt de New Order pour voir comment il est fait et pour le refaire ensuite toute seule, en secret. Il s’agit d’une sorte d’appropriation infantile. Les enfants démontent et refont elleux-mêmes les choses pour comprendre comment elles sont faites et aussi, au fond, pour en devenir aussi un peu responsables. 

Cette première poupée m’a donné envie d’en faire d’autres qui se retrouveraient dans un club. Ce sont des modèles réduits de jeunes adultes. Pour les habiller, j'étais très inspirée par mes propres habits de quand j'avais quinze/seize ans, dans les années 1990. Les bombers par exemple étaient très à la mode. Donc j'ai pris mes propres bombers taille adulte, je les ai défaits, décousus, pour les recoudre en échelle réduite. Toutes les poupées sont des figures qui sont liées à ma vie. Petit à petit sont nés leurs visages. Sans que ce soit prémédité, ces figures me ressemblent, elles ressemblent à mes ami.es, à mes amours. Lorsqu’on dessine des visages, ils nous ressemblent toujours un peu, il y a une sorte de familiarité morphique. Ce sont des corps inanimés, qui ne tiennent pas debout, ce qui leur donne l’air mélancolique. Il y a cette façon d’être passifs que je trouve propre à ma génération. Elles ont l'air embrumées par la fumée et elles sont immobiles parce ce sont des sculptures. Elles ne sont pas vivantes, mais presque. Ce sont des figures animées et animistes, qui ont bien conscience de leur passivité absolue.

Elles sont dans un club composé de plexiglass miroir. C’est une matière peu onéreuse, du plastique polluant. J'ai beaucoup utilisé ce plexiglass pour ses qualités dégoûtantes et séduisantes à la fois. Ça me rappelle encore cette époque avec toutes les pochettes de CD en plastique. J'en avais des tonnes, elles se cassaient. C'était un matériau dégueulasse et très séduisant. Dans ce club, tout se reflète dans les miroirs comme une sorte d’absence de l’autre, le reflet du vide, un reflet à l’infini qui provoque une sorte d’abysse très mélancolique. Le motif qui fait le sol de la pièce provient de la jupe léopard que mon amie Charlotte a achetée dans une friperie. C'est une jupe que j'aime beaucoup, son motif habille beaucoup de mes pièces et ici constitue la fausse moquette d’un club. C’est un club mélancolique qui est né de manière instinctive. Amoureusement, je créé des choses qui me font penser à mes ami.es ou à de la musique. C’est une pièce née d’un sentiment plus que de la théorie ou de l’analyse d’un souvenir.

La deuxième pièce est née du même sentiment, en pensant à des gens doux qui écoutent de la musique et qui sont un peu perdus. Il y a aussi un sentiment ironique vis-à-vis de ces figures. Le Garçon Miroir du titre fait référence au personnage représenté, recouvert de poudre argentée pour vernis à ongles polymérisé aux UV. Un garçon recouvert de cette matière argentée, ça lui fabrique une espèce de carapace mais c’est aussi un peu claustrophobique avec le fait de refléter le monde tout en étant seul. C'est encore une autre figure humaine, isolée, qui rêvasse, un peu perdue.

Il s'appelle Garçon Miroir et il est dans un Mimosa Blossom Storm. Ce n’est pas une blague. Il y a vraiment de la poudre de fleurs de mimosa partout qui parsème le sol de la pièce. Lorsque j’ai fait la pièce, la poudre jaune de la fleur de mimosa s'était collée partout sur les murs en plexiglass par électricité statique et c'était super. Initialement c’était du mimosa frais. C’est une pièce qui ne peut pas être montrée à toutes les saisons de la même manière. Le titre fait aussi référence à mon amie Mimosa Echard. Souvent dans mes pièces mes ami·es sont présent·es de manière subliminale. C'est aussi une référence secrète à une photographie de Nan Goldin qui s'appelle Hondas Brother In a Cherry Blossom Storm, les frères Honda dans une tempête de fleurs de cerisier. C'est une photo qu'elle a prise à Kyoto pendant la saison où les fleurs de cerisier tombent. J’ai eu envie qu’il y ait une tempête de fleurs dans le titre de ma pièce. Nan Goldin a passé sa vie à photographier ses ami·es dans l'espace de folie de la nuit. Ses photos capturent à la fois une présence et une absence latente dans la nuit. Il y a quelque chose chez elle de très mélancolique, qui est aussi inhérent à la photographie qui représente des moments qui sont passés.

Le sentiment que les deux maquettes procurent tient beaucoup à leur atmosphère picturale. Ce n’est pas de la peinture plate mais une architecture qui est elle même peinture, comme les clubs qui reflètent les humains dans une sorte d’infinitude de motifs avec leurs miroirs. Ça donne une sensation de vacuité, de vanité. La maquette est un club parce que c’est une boîte. Au sens d’une boîte de nuit mais aussi une boîte dans laquelle on peut projeter n’importe quoi. Dans tous mes dessins, il y a toujours la nuit, les clubs et un en particulier qui est le H club qui appartenait à Jean-Luc Blanc, un des personnages de ma vie, de ma famille artistique. Le royaume de la nuit convoque l'inconscient, des choses qui n’apparaissent pas à la lumière du jour.