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Audioguide - Hervé Guibert

Centre Culturel Jean-Cocteau · Maureen Murzack, monteuse du film "La Pudeur et l'impudeur" d'Hervé Guibert

En 1991, une amie qui n'était pas libre pour monter le film d’Hervé m'a proposé de le faire. J'ai rencontré la productrice de TF1 Pascale Breugnot, à l’origine du projet, et on s’est mises d’accord pour que je le rencontre :  à l’époque je ne connaissais pas Hervé et je n’avais encore rien lu de lui.

Avant de le rencontrer, j'ai lu Les Aveugles. Ça m'a beaucoup touchée et m’a donné tout de suite envie de monter le film. J'ai ensuite rencontré Hervé, qui habitait à côté de chez moi dans le 14ème arrondissement de Paris, à deux rues de distance. Il était très maigre et malade, il avait besoin de travailler depuis sa maison où il faisait très chaud. C’était son espace. J’avais pour ma part aussi besoin de beaucoup d’espace pour monter, du coup j’ai pris une salle à TF1 et on a collaboré à distance. Hervé ne venait pas au montage, il était trop faible et il avait besoin de son temps pour écrire. Donc on communiquait par téléphone, tous les deux jours. D'ailleurs il y a une scène dans le film où il parle avec moi après la mort de sa grande tante Suzanne. J'ai mis cette partie dans le montage parce que c'est le seul moment où il rit, même s’il rit un peu jaune. On avait des conversations plutôt le soir, de sa chambre à la mienne à TF1.

A la fin, il a regardé le montage et a demandé un seul changement : il trouvait l'éléphant qui tourne dans le vent trop long, j'ai donc coupé une dizaine de secondes. Pendant le montage, il continuait de tourner avec sa caméra qui était un super VHS. J’avais souvent des surprises, comme cette conversation filmée entre nous.

Souvent il n’y avait pas de paroles sur ses images. Je lui ai suggéré de divulguer un peu de son journal intime. Dans tous ses livres, il parle de son journal intime. Il a dit « Non, pas de question. J'ai assez donné. J'ai donné l'image de mon corps. Chez moi. Ça suffit ». Puis il a vu le film et le lendemain, j'ai reçu une cassette où il a lu des extraits de son journal. C'était la bonne surprise. Il est venu ensuite ré enregistrer sa voix avec un bon micro pour l’associer au film. On a pris un verre ensemble. Il parlait de faire un film avec Les Aveugles. Le montage terminé, on ne s'est plus revus et le film ne sortait pas. Je le croisais quelquefois dans la rue, il sortait avec son chapeau rouge et on se faisait coucou.

J'ai appris sa mort par la radio au mois de décembre. Pendant un moment, on a refusé de passer le film parce qu’on avait peur que des malades du SIDA puissent se suicider en le voyant. Il semblait trop impudique, trop dangereux. Et puis finalement, ils ont passé le film à la télé. C’était encore plus dur de le montrer après la mort d’Hervé. D’autant plus que c’était le début de la trithérapie qui représentait un immense espoir. Mais il est malheureusement mort avant de pouvoir en profiter. Les gens ont été très touchés. C’était très fort car à la télévision à l’époque on ne montrait pas de gens malades. Mais Pascale Breugnot voulait montrer le film tel quel. Il n’y a eu aucune censure. Elle a toujours montré des documentaires non conventionnels pour l’époque.

Le film a fait son chemin et il est toujours valable aujourd’hui. C'est un des premiers films comme ça, autobiographique sur la maladie. Ça n'existait pas vraiment encore à l'époque. Il s’agit d’une autofiction documentaire. C’était une invitation de Pascale Breugnot qui avait lu ses livres, vu ses photos, qui a voulu le rencontrer. Il a refusé plusieurs fois et puis finalement il a accepté et c'est elle qui lui a donné le caméscope. Il l'a gardé dans sa chambre sans l'utiliser pendant quatre ou cinq mois. Au départ Hervé voulait faire un film de fiction avec son amie Sophie Calle. Mais il fallait l’écrire et le tourner. Et puis, il a posé la caméra et a filmé la scène avec son kiné-ostéopathe. Puis autre chose et finalement il s'est pris au jeu. Je l’ai rencontré quand les trois quarts du film étaient tournés. Tout est fiction dans la mesure où Hervé avait choisi le lieu, le cadre, le moment pour se filmer. C’est le regard d’Hervé qui raconte ce qu’il veut faire voir et raconter. Le titre du film était choisi avant même le tournage.

Après le montage de ce film, j'ai été ostracisée. Je n'ai pas eu de travail pendant un an parce qu'on croyait que je mourrais du SIDA, ce qui n'était pas du tout le cas. J’avais hésité à faire le film mais j’avais plusieurs amis séropositifs qui m’ont convaincue que c’était vraiment important de le faire. C’était une expérience très marquante parce qu’elle était honnête. Elle représente cette époque qui était très difficile. Mais on a aussi bien ri avec Hervé dans nos conversations de chambre à chambre.