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Audioguide - Konstantinos Kyriakopoulos et Caroline Curdy

Centre Culturel Jean-Cocteau · Konstantinos Kyriakopoulos et Caroline Curdy, Bed-Net, 2021

Caroline Curdy : Le titre de notre oeuvre, Bed-Net, est un clin d'œil au projet Metro-Net de Martin Kippenberger où l’artiste avait créé de fausses entrées de métro qui ne menaient nulle part. Il y avait cette idée de voyager à travers l'espace, mais de manière complètement abstraite.

Konstantinos Kyriakopoulos : On voulait créer un objet qui suggère une sorte de globalisation romantique impossible. Dans le travail de Kippenberger c’étaient des pièces qui étaient des entrées de métro avec une porte fermée avec un cadenas. Tu avais l'impression de pouvoir entrer dedans et par le fait d’avoir placé ces oeuvres à plusieurs endroits, il suggérait la possibilité de voyager d'un lieu à l'autre.

Dans mon travail j'ai souvent une pratique d'invitation. Pour cette pièce, j'ai invité Caroline, qui est plasticienne, à faire un lit ensemble. C’est une œuvre très liée à notre intimité. Comme nous avons une relation intime et qu’on passe énormément de temps ensemble, nous voulions incarner dans un objet l’envie de pouvoir faire un chez nous un peu partout, de pouvoir voyager et installer notre cabane où on veut. D’une certaine manière, il s’agit d’inverser le principe de Kippenberger : au lieu de créer des portes pour voyager, on suggère de porter ta maison avec toi comme une tortue.

CC : L’oeuvre est pensée pour s’agrémenter avec d'autres éléments en fonction des contextes dans lesquels on l’utilise. Nous l’avons pensée pour un sol d’exposition, du coup nous n’avons pas utilisé de matériaux techniques adaptés à l’extérieur. Mais il y a l'idée que cet objet puisse évoluer selon les contextes dans lesquels il s’intègre : le rendre plus imperméable, ajouter ou enlever des couches de protection.

KC : L’oeuvre est composée de deux couettes qui se retrouvent. C’est comme si on mettait nos couettes en commun. La deuxième couette, pliée et cousue par endroits sur l’autre, donne au lit sa forme d'enveloppe. Cette enveloppe est le symbole d'une correspondance, mais aussi un élément qui physiquement nous enveloppe. Je trouve intéressant de voir à quel point dans l'histoire des histoires d'amour ou des histoires intimes, les correspondances ont joué un rôle important.

CC : On voulait faire une blague avec une enveloppe qui nous enveloppe et avec laquelle on voyage et se déplace : quelque chose de très romantique et premier degré. Ce que j'aimais dans le fait d'utiliser des couettes, c'était que c’est la première chose à laquelle je pense quand je pense aux lits. Le lit pour moi c’est ça, une couverture qu’on se met sur le corps. J'aimais bien l'idée que là, ce soit tout. Il n'y a pas de poids : on peut prendre son lit sous le bras ou le mettre dans le panier du vélo.

KC : Dans l’espace d’exposition, l’oeuvre joue sur un fil, entre invitation à l’utiliser comme un vrai lit et forme très esthétique, de l’ordre du tableau. S’il le souhaite, le public peut utiliser le lit : il me semble absurde de faire un objet qui devrait être utilitaire et de le présenter uniquement comme un objet à regarder. Sur les couettes sont posées deux veilleuses qui peuvent être allumées et utilisées. Ces deux objets parlent de productivité non productive dans un lit. Le lit n'est pas là uniquement pour se reposer, mais c'est aussi un endroit de projection et production, un endroit d’où se passent énormément de choses. Avoir une lumière, c'est un signal pour dire que ce n'est pas juste un espace pour dormir.

Toutes mes œuvres sont faites dans un cadre intime. Elles sont adressées à une personne si je le fais tout seul, ou elles sont le résultat d’une relation, comme dans le cas de Bed-Net. Ce qui compte le plus, c'est la relation entre moi et cette autre personne. L’exposition montre les restes de cette relation, ce qui atteste que ce qui s'est passé s'est passé. Du coup, ça laisse l'espace pour le public de faire ce qu'il veut de ces pièces, de réfléchir si ce qu'ils veulent c’est de les toucher ou pas. Le but n’est pas de toucher le public, le but est toucher les personnes à l’origine de l’œuvre. De dire “je t’aime",“je pense à toi” à une personne précise, ne pas parler au monde en général. Par contre, dès lors que ces oeuvres sont montrées à l'intérieur d’un espace avec du public, elles sont libres de devenir autre chose. Elles ne nous appartiennent plus.

CC : La couette porte l’idée de faire son lit, de se mettre dedans, d’en sortir. Peut être que l’oeuvre deviendra une boule. Peut-être qu’il y aura quelqu’un qui va s’amuser à refaire le lit. On ne va pas visser le lit dans le sol…

KC : Ça doit rester libre, ça va vivre.