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Audioguide - Béatrice Lussol

Centre Culturel Jean-Cocteau · Béatrice Lussol

Je mène parallèlement trois pratiques artistiques : dessin (ou peinture, c’est la même démarche), écriture, collages. Vous découvrez dans cette première salle deux livres de collages et quelques dessins.

Se rapprochant à la fois de la collection, de l'archivage, le collage est aussi une autre manière d'écrire. Comme si chaque image était un mot ou une phrase, comme si chaque double page ouverte d'un livre où je fais ces collages était le paragraphe d’un texte. 

Je collecte et amasse des piles d’images que j’ai pris l’habitude de découper dans des magazines : une nécessité fait déjà partie de la récolte, le choix de chacune relève d’une évidence, d’une prise très rapide de la découpe, quelque chose en elle me séduit, me frappe ou me choque, aussi parce que l’image me parle d’autre chose que de ce qu’elle est, et qu’elle me présente un déplacement de sens. Le choix de la place de l’image ressemble au choix d’un mot pour un texte, à la recherche du mot précis, exact, à articuler au bon emplacement lors de la construction d’une phrase. Rien n’est aussi précis que la recherche de la place de l’image. Elle en résulte des livres, atlas inachevables, perpétuelles mères d’idées, laboratoires de pensée.

Dans le travail du dessin, un vocabulaire est mis en place, puisant sa source dans le corps, ses nutriments, ses organes, doigts, bouches, vulves, etc., les personnages par duos dialoguent par corps, comme l’on dit par cœur.

Les éléments identifiables sont prêts à des déplacements de sens, se présentent polysémiques, ouvrent des portes. L’aspect « monstrueux » des corps ou des organes dans mon travail correspond à l’élasticité, à la plasticité d’un monde, d’une utopie, un monde de dessins où s’engendrer soi-même ou une autre serait possible, le fantasme féministe et sensuel parcouru d’une communauté de femmes se remodelant elles-mêmes, ne fonctionnant plus que comme des organes autonomes ou des corps sans organes, des organismes d’eau et d’aquarelle.

J'utilise la gamme des rouges roses marrons de l’aquarelle, celle des muqueuses et des chairs, j’use de sa qualité de mouillé, explicite, volatile, profonde, légère et orientée, donnant pour résultats fictions d’organes tordus drôles et/ou inquiétants dans lesquels on peut s’identifier. Je travaille obsessionnellement la forme vulvaire, démultipliée, devenant paysages en vibration, théâtres de détails féériques, abri complice d’éléments nutritifs et énergiques, jusqu'à l'exploser, jusqu'à son émiettement, par fragments, en abstraction relative.

Les lignes enserrent les formes, elles enferment la couleur, prolifèrent en ondes, comme pour stratigraphier l’épaisseur des chairs, dire les métamorphoses en archipels creusés de grottes et traversés de plis. Vulves et bouches oscillent à l’infini, s’ouvrent et s’éboulent comme glissements de terrains, leurs peaux font vibrer une sorte de chaos doux, nouveau.

La fluidité de l’aquarelle se charge de résidus impurs par besoin d’une matière supplémentaire, je prépare des eaux croupies, de vieilles eaux issues de fonds de tasses de thés, lorsque la flaque de peinture sèche, elle tire le papier, et le trait, et les dépôts légèrement sales génèrent des craquèlements : de l’accidentel organique, que je prétends maîtriser.  Dans ces dessins, aucun hors-champ ou horizon n’existe, rien qui signifie que la forme s’ancre dans un espace tangible, iel s'agit d'un autre espace, ouvert à toute projection, libérateur.