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Audioguide - Pierrick Sorin, L'Homme fatigué

Centre Culturel Jean-Cocteau · Pierrick Sorin, L'homme fatigué, 1997-2021

 

Tout le monde peut se reconnaître dans Les Réveils. Un peu moins dans L’homme fatigué. Tout le monde n’est pas dans cette espèce d'état dépressif du personnage un peu dépassé, qui, harcelé par ses messages téléphoniques, ne les écoute même pas vraiment, dans une certaine forme d'absence au monde. Il est dans un état de non-communication : on cherche à communiquer avec lui, mais lui, il est comme un fantôme.

Le dispositif de L'homme fatigué avec le système un peu magique d’un théâtre optique avec un pseudo hologramme contredit ce que je disais sur Les Réveils. Dans Les Réveils, je refusais l'illusion de l'image. Je vous montre une image, en affirmant que ce n'est qu'une image, donc je refuse le simulacre de la réalité. Dans L’homme fatigué je bascule dans une attitude qui est inverse : je me fais plaisir à essayer de créer un effet de réalité avec l'hologramme et à créer une illusion.

C'est le signe d'une contradiction chez moi, comme il y en a chez beaucoup d'individus, entre une volonté d’affirmer tout le temps que mes images ne sont que des images. Et puis tout d'un coup, on est tenté de se vautrer dans la magie. Les deux m’attirent : une certaine rigueur voudrait que je ne fasse surtout pas de poudre aux yeux avec les images. Et en même temps, cette illusion m’attire.

Les deux pièces ont un sujet équivalent, mais leur point de vue philosophique n’est pas le même. D'un côté on refuse l’illusion, de l’autre on l’accepte. C’est en 1995 que je crois inventer cette technique du théâtre optique. Je ne savais pas que ça existait déjà, donc je crois l’inventer. Je trouvais ça un peu gadget mais des producteurs m’en ont demandé d’autres. En 1997, j’ai donc réalisé L’Homme fatigué.

Ce qui crée la bascule entre des films beaucoup plus bruts et ces œuvres à illusions c’est le fait que je fasse cette découverte de l’hologramme par hasard, en observant des reflets dans les vitrines d’une rue. Et comme j'ai cru que j'étais le seul à avoir découvert ça, je me suis lancé. Après en avoir fait au moins trois, j’ai découvert que la technique existait au moins depuis le XIXᵉ siècle. Alors je me suis dit que si je ne l’avais pas découverte, je l’avais au moins réactualisée avec les outils de la vidéo. Mais même pas, puisqu’au Canada il y a plein de gens qui faisaient déjà ce genre de choses. Il y en avait aussi un chez Disneyland. Donc en fait, je n’ai vraiment rien inventé du tout.

Quand je fais Les Réveils, je suis en dernière année d'une école d'art, donc personne ne me connaît. Et puis entre temps, en 1991, les films sont passés à la télévision, je suis sur une courbe très ascendante, j’ai de plus en plus d'expositions internationales. Je suis très sollicité. J'ai beaucoup de messages et je ne suis pas du tout dans un état dépressif du personnage qu'on voit, mais je me sens parfois un peu dépassé par tous ces gens qui veulent des choses en urgence.

Et je me dis, tiens, ça peut être intéressant de mettre ça en scène, ce contraste entre ce personnage un peu perdu et tous ces messages enregistrés dans ma boîte vocale de l’époque. Ce sont tous des vrais messages, sauf quand j’essaie d'imiter la voix de ma mère qui m’appelle. Alors autant dans Les Réveils on est dans quelque chose de très brut et sincère, une forme d’autoportrait, autant dans ce théâtre optique ce sont des exagérations, des situations qui sont vraies mais qui dans la réalité sont beaucoup moins marquées que ça. Je pars d'un petit truc que je ressens et je l'ai augmenté pour donner un sens tragicomique à partager avec les spectateur.rices.