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Audioguide - Camille Plocki

Centre Culturel Jean-Cocteau · Camille Plocki

 

Je suis comédienne, metteuse en scène et chanteuse. Je travaille pas mal aussi avec le son et la musique. Avec ma compagnie de théâtre la Hutte, nous sommes actuellement en résidence sur le territoire de la ville des Lilas, en partenariat avec le Théâtre du Garde-Chasse, le Centre culturel Jean-Cocteau et l’association Lilas en scène.  Dans ce cadre, on mène plusieurs ateliers et créations avec les habitant·es autour du thème de la nuit.

L’installation sonore présentée dans l’exposition fait partie de ce travail. Elle rassemble des entretiens que j’ai menés avec des travailleurs et travailleuses de nuit en les questionnant sur leur rapport à leur travail et à la ville. Un élément récurrent de ces témoignages, qui est devenu le fil rouge de la pièce, est leur rapport aux bruits que leur travail engage dans le silence nocturne. J’ai demandé à chacun et chacune de capter cinq minutes d'ambiance sonore de leur travail et de les décrire pour en faire un environnement sonore qui enrobe leurs récits. Cela va peut-être inspirer le titre de la pièce avec un jeu de mot comme « la nuit, tous les mots sont bruits ».

Les personnes interrogées ne racontent pas vraiment leur métier mais plutôt ce qu’iels ressentent. Peut-être que vous ne saurez pas spécialement ce que fait chaque personne d'ailleurs. Donc je vous le révèle ici !

J'ai interviewé Colin qui est barman et qui a créé une entreprise de création de cocktails. De nombreux lieux, très différents, font appel à lui pour des événements où il vient proposer des créations inspirées par le lieu et le thème qui lui est demandé. Il y a Camille qui est sage-femme à la Maternité des Lilas, puis Brigitte qui est une noctambule sans « activité professionnelle » au sens de « métier », mais qui vit activement la nuit.

Nicolas qui est veilleur de nuit dans un hôtel est aussi auteur. Il a choisi ce métier pour pouvoir avoir le temps et le calme pour écrire. Puis il y a Mamehdi qui est rappeur sous son nom d’artiste, Grizzly. Il enregistre en studio la nuit après avoir travaillé le jour. Il m’a résumé de manière assez belle, presque comme une punchline de rap, tout ce qu’il m'avait dit pendant l'entretien : « le jour je fais ce que je dois faire. Et la nuit, je fais ce que je veux faire ». Il y a aussi un rapport au choix qui émerge de ces échanges. Pourquoi est-ce qu'on choisit d'avoir une activité la nuit ? Pour certain·es la nuit est le temps propice à une activité créatrice. Daniel est agent d’astreinte de la ville des Lilas une semaine par mois. Lui, il choisit de travailler la nuit pour pouvoir se payer un tour du monde. Iels montrent chacun·e à leur manière comment, choisir la nuit, c'est quelque part ouvrir des portes vers autre chose de l'ordre du voyage, du rêve, de la création. La septième personne c'est Prosper qui est artiste et qui montre aussi des œuvres dans cette exposition. Son travail a beaucoup à faire avec la nuit. Il adore les enseignes lumineuses qui s’allument et clignotent au coucher du soleil. Il les prend en photo et les glane pour les transformer en œuvres. Ce qui m’intéresse est son rapport aux lieux de la nuit : lorsqu’il va récupérer des enseignes ou lorsqu’il travaille dans son atelier. C’est une relation différente au réel, notamment d’un point de vue sonore. Les bruits ne sont pas du tout les mêmes si on les perçoit à l'intérieur ou à l'extérieur.

Le rapport au son est aussi lié à l’obscurité de la nuit. Comme il fait sombre, il y a un sens qui s'éteint tandis qu’un autre s'ouvre, l’ouïe. Le temps de la nuit peut impliquer qu’il y ait moins de bruits mais ça dépend beaucoup en fonction des métiers.

Par exemple, Daniel avec ses astreintes me racontait que pour lui la nuit est hyper bruyante parce qu'on l'appelle lorsqu’une alarme s'est déclenchée dans une école, ou bien parce un arbre est tombé sur la chaussée. Ce qu'il entend, c'est alors le bruit de la dépanneuse qui arrive. Il est constamment entouré de bruits de sirènes, de voitures de police. C'est un environnement qui est très bruyant.  Comme par ailleurs tout est calme, ça ressort d'autant plus.

Camille, la sage-femme me raconte que pour elle, c'est un mélange de bruits très étonnant. Des bruits très techniques, les machines, les bips qui prennent les constantes des femmes en travail. Puis des bruits très organiques, l’expulsion d’un bébé de soi et l'enfant qui vient de naître. Ou encore le bruit du silence, quand tout d’un coup la maternité tombe dans un moment fugace d'accalmie. Tout ça créé une symphonie très hétéroclite.

Dans le fait de travailler à contre-courant, alors que les autres personnes dorment ou font la fête, ce qui revient le plus clairement, c'est la fatigue de tous·tes. Iels sentent bien qu'il y a quelque chose qui joue sur leur sommeil, sur leur organisme : ça finit par dérégler complétement leur cycle de sommeil. Au bout d'un moment, iels apprennent à vivre avec ça. Il y a une question que je pose à un moment : est-ce que quand tu travailles la nuit, tu penses à ceux qui dorment ? Finalement ce n’était pas vraiment un sujet. Certain.es ont pu dire « je pense à celleux qui vont faire la fête », comme une forme de nostalgie ou de regret de ne pouvoir aussi profiter du temps de la nuit comme un moment de fête. C’est aussi lié à leurs profils. Camille, la sage-femme, adore faire la fête. Quand elle termine une garde vers neuf heures du matin et qu’elle sait qu'elle en a une autre qui arrive, elle décide de ne pas dormir de la journée, de faire une petite sieste en début de soirée puis le soir, de sortir, de se fatiguer jusqu'à deux heures pour se remettre dans un bon rythme de sommeil. Et donc de garder un rapport social fort malgré ce décalage.

On sait que travailler la nuit abîme le corps. Mais ce que je trouve très beau chez le veilleur de nuit par exemple, c’est qu’il fait d’une contrainte la recette pour pouvoir faire ce qu’il veut. Il a décidé que comme sa vie c'était l'écriture, mais qu’il ne pouvait pas gagner sa vie en écrivant, il a trouvé un moyen, un peu logistique de le faire. Il dit qu’il adore son métier parce que « je n’ai rien à faire et je peux me consacrer à mon écriture ». Et donc, au final, il est payé pour écrire.

Il y a aussi la question de la nuit solitaire ou collective en fonction des métiers. Il a lui une nuit très solitaire même si entrecoupée par les cloches des clients de l’hôtel alors que d’autres ont une nuit très sociale. Colin en tant que barman est tout le temps au cœur d’interactions sociales et donc la journée, il va rechercher la solitude.