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LAURIE KARP, Le Retour de l'homme-chat et autres histoires

 

De tout l’œuvre de Laurie Karp il émane comme un parfum d’exquise sauvagerie. C’est avec tact et délicatesse, en poussant l’aiguille ou en modelant l’argile, qu’elle agence les éléments d’un chaos dionysien. Sa vision de la nature n’est pas celle d’un Eden immobile et serein. Elle l’envisage plutôt comme une sorte de théâtre tragicomique dont la scène serait animée par le désir et la faim. Organisatrice du spectacle, Laurie Karp couvre de l’éclat de son rire les ébats de ses machines désirantes. Leurs étreintes mortelles, leurs luttes à bec et ongles, elle les cache sous l’apparence charmeuse de la céramique ou de la broderie.

Pour perpétrer ses petits crimes, en parfaite excentrique, elle associe l’humour à la cruauté comme d’autres l’arsenic à la dentelle. L’air de ne pas y penser, elle s’exonère en laissant libre cours à ses doigts, ne voulant pas les contraindre à suivre à la lettre un dessein trop prémédité.
Au gré de cette spontanéité volontaire ou d’une certaine gaucherie assumée, les œuvres s’échappent hors du domaine rassurant de l’art décoratif auquel la tradition tendrait à les enfermer pour s’introduire dans le territoire du fantastique. C’est ainsi que, maîtrisant parfaitement les possibilités de l’émail, Laurie Karp joue à reproduire les textures et les matières afin de susciter le plaisir et l’effroi.

Ses paysages charmants sont faits de bouquets de plantes carnivores dont les frondaisons abritent d’étranges voluptés. Facétieuse, elle semble nous convier à y assister en voyeurs à des noces de mantes religieuses. C’est toujours pour jouer qu’elle place, parmi des fragments organiques et des membres disjoints, les divers ustensiles d’une dinette de cannibale. Et de ce festin barbare, est-ce encore pour nous que la table est dressée ?

 

Claude d’Anthenaise,
Directeur du Musée de la Chasse et de la Nature, Paris