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Audioguide - Rayane Mcirdi

 
Rayane Mcirdi, Le bord de l’Oise, 2022
Vidéo : 19’30"
Courtesy de l’artiste et de la galerie Anne Barraut, Paris
Attention : certains contenus peuvent heurter la sensibilité du jeune public.
 
Mon travail nait d’une grande cinéphilie et d’une prise de conscience critique de la représentation des corps dans le cinéma. J’attache également beaucoup d’importance à la justesse des paroles. Je pars souvent d’une histoire liée à un lieu qui m’est proche pour m’ancrer dans la grande Histoire, notamment francoalgérienne.

Le Bord de l’Oise est arrivé à un moment où je m’interrogeais sur les raisons, dans le cinéma, d’un ancrage systématique des corps arabes dans le réel. L’imaginaire n’est jamais évoqué. C’est toujours quelque chose de dur : il faut qu’on soit dans le monde. Pendant le confinement, je discutais beaucoup de religion et de spiritualité avec mon cousin. Il m’a raconté que dans l’Islam, le trône du Diable se trouve au milieu de l’océan. Tous les esprits, qu’on appelle les Djinns dans la religion musulmane, se situent dans des points d’eau et circulent sous forme liquide. Le film est né de cette mythologie. Mon cousin m’a raconté une histoire de possession qui a eu lieu dans sa ville à Éragny-sur-Oise près de Cergy. J’ai d’abord pensé en faire un film d’horreur. Très vite, j’ai préféré transposer directement mes cousins face à la caméra, et leur laisser l’espace pour raconter leur histoire.

Je me suis promené avec eux pour voir ce qu’ils voulaient montrer, quels étaient les lieux où ils avaient l’habitude d’aller. Ce paysage boisé et apaisé était idéal et très important. Depuis notre enfance, on nous dit à Gennevilliers qu’on grandit dans la ville des Impressionnistes, et dans la cité ça nous faisait beaucoup rire. Pourtant, c’était ça notre ancrage à l’histoire de l’art et j’ai voulu me l’approprier. Ce bois de Cergy était une manière de sortir de la représentation cinématographique des cités bétonnées et de relier notre situation à nos origines. Le lien avec la nature est un fil conducteur qui nous lie à notre passé, à nos grands-parents paysans dans les montagnes en Algérie.

L’idée était de créer un tableau vivant dans le paysage. J’ai posé la caméra, allumé le micro et demandé à mes cousins de me raconter ce qu’ils m’avaient relaté. Je voulais transmettre l’existence d’un imaginaire dans notre culture, que ce soit en matière spirituelle ou dans les histoires du quotidien. La voix est fondamentale dans mon travail. Les voix de mes cousins donnent le temps et le tempo du film. Je ne fais que de micro coupures dans le montage, c’est une sorte de plan-séquence audio qui leur permet de s’exprimer librement, comme s’ils me racontaient cette histoire pour la première fois sans caméra.

En les écoutant tout au long de la prise, je me disais : arrêtez vos bêtises, qu’est ce qui s’est réellement passé ? Est-ce que ces histoires de possessions relèvent du médical ou du religieux ? C’est une question à laquelle je n’ai pas envie de répondre. Dans leur imaginaire collectif à aucun moment ça n’était quelque chose de médical. Et en même temps, à la fin du film le réel resurgit et leurs  mots définissent la conclusion de cette possession comme une tentative de suicide. Le magique se mêle au tragique, ils font face à la mort et le réel revient. Ça a été très traumatisant. Cette tentative de suicide est une sorte de chute tragique de leurs croyances également, comme si c’était quelque chose de plus fort qu’eux.