Nouveaux Hérauts
Avec Zoe Bernardi, Amélie Bigard et Jade Boudet, Aïda Bruyère, Jérémie Danon, Rayane Mcirdi
Deuxième volet de la saison No(s) Future(s) actuellement présentée au Centre culturel Jean-Cocteau, l’exposition Nouveaux Hérauts dessine en creux le portrait d’une génération. Les artistes invité.es, récemment diplômé.es ou encore étudiant.es aux Beaux-Arts de Paris, tissent de nouveaux récits du réel en laissant la parole advenir. La voix en est le fil conducteur. Ami.e.s, proches, compagnons de route se dévoilent sans fard ni condescendance. Derrière l’apparente quiétude des portraits exposés, un grondement sourd rôde.
L’installation spécifique imaginée par Aïda Bruyère en ouverture de l’exposition joue précisément sur ce calme avant la tempête qu’elle emprunte au roman de Monique Wittig Les Guérillères (1969) où une communauté de femmes se livre à la lutte armée.
Le héraut médiéval prêtait sa voix annonciatrice tel un ventriloque annonçant la parole solennelle. La guerre pouvait être déclarée, le roi se mourait, la paix pouvait être signée : le fait était politique. Les artistes présenté.es sont les dépositaires d’histoires singulières, marginales ou minorées. Par la relation de proximité, d’intimité, de complicité qu’iels entretiennent avec leurs protagonistes, la transmission s’en trouve totalement modifiée.
L’écoute est centrale dans la vidéo Le Bord de l’Oise de Rayane Mcirdi. L’artiste remet en scène ses proches afin qu’ils racontent une histoire dont ils ont souvent parlé hors camera. La complexité de la situation se révèle dans la position de retrait qu’adopte le jeune réalisateur. Le paysage naturel participe à la création d’un imaginaire où le surnaturel et la croyance font irruption dans le récit. La maladie psychique n’en est pas moins l’objet.
Zoe Bernardi poursuit ce double mouvement entre appartenance à la situation et extériorisation. Dans ses photographies de la série Tondue, l’artiste part de l’expérience de la tonte de cheveux à laquelle elle s’est livrée mutuellement avec son père. Le rituel viril est ici détourné et le crâne rasé se charge de multiples connotations identitaires et historiques. L’artiste réalise d’autres tontes sur d’autres sujets : l’acte devient tendre et se transforme en rituel de soin. Le crâne mis à nu se fait membrane poreuse entre intériorité et extériorité.
Nouveaux Hérauts joue également sur une homophonie. Parmi les figures présentées, certaines revêtent une dimension héroïque. Dans leur film Bobby Brûle, Amélie Bigard et Jade Boudet nous entraînent le temps d’un été marseillais dans les errances de Bobby et Mélo, deux jeunes adultes. Bobby devient le héros flamboyant d’une fable estivale, d’un conte d’été marginal entre aspirations et désenchantement.
Les Nouveaux Classiques, portraits parlés de Jérémie Danon, interrogent la notion même de représentation. Troquant l’image contre la parole, l’artiste demande à ses modèles (qu’il côtoie par ailleurs) de lui décrire la pose et le décor dans lesquels iels aimeraient être peint.es si leur portrait devait un jour se retrouver sur les cimaises d’un musée. Il exécute alors leurs commandes. Les toiles, où le format cinématographique remplace le portrait en pied, sont présentées avec les enregistrements sonores. La représentation s’invente autant par la voix que par l’image : la parole devient performative.
Les artistes renouvellent les dispositifs de captation pour créer des espaces protégés où les voix de leurs pairs peuvent surgir librement. Les paroles et les silences s’incarnent de manière individuelle et chorale. Une violence latente semble parfois prête à exploser.
Retrouvez la playlist avec les audioguides de l'exposition