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ANAÏS TONDEUR, Fabuler des mondes

Les dernières décennies du XXe siècle ont vu émerger, dans le domaine scientifique, une préoccupation d’interdisciplinarité. La pratique artistique contemporaine n’échappe pas à ces relations d’échanges avec des champs voisins et expérimente avec les sciences des approches convergentes, propices à l’ouverture de perspectives nouvelles de connaissances.

Explorant l’interstice situé à la croisée de ces disciplines, les œuvres d’Anaïs Tondeur obliquent vers la science expérimentale. Celle-ci s’est vue associée depuis le XVIIIe siècle aux notions de rigueur et de méthodologie, reléguant la pratique artistique du côté de l’imagination esthétique et du geste créateur. Pourtant, le scientifique comme l’artiste ont pour démarche irréductible et commune d’interroger le monde, sous des angles qui s’enrichissent mutuellement. Ils n’aspirent pas tant à trouver une réponse unique et définitive qu’à entamer un processus de recherche, non pas aveugle, mais sans a priori ni volonté préconçue : ils laissent ainsi ouverte la porte par laquelle s’engouffrent l’inattendu, le surprenant. Cette malléabilité de l’esprit permet à l’effluve poétique – condition de l’émotion esthétique – d’infuser l’œuvre d’art et de faire du récit une « fabulation des mondes », où le doute imprègne l’observation scientifique et la réalité tangible, l’œuvre d’art.

C’est le cas des six installations d’Anaïs Tondeur présentées dans l’exposition du centre culturel Jean-Cocteau. Elles mettent en jeu des récits révélateurs d’une fascination anthropologique pour l’écrasante puissance des forces naturelles : les perturbations atmosphérique (Le Ciel percé), les courants marins (Le Cri de l’Eophone), l’activité géologique (Dérives ; La Marche des continents), ou encore l’astronomie (Mutation du visible*). Mais si, pour leur élaboration, Anaïs Tondeur mène un travail d’enquêtes « de terrain », celui-ci se situe à l’opposé de l’image de l’« artiste sans frontière », globe-trotter globalisé dont les itinérances sont guidées par les exigences du marché. Il n’est pas non plus une flânerie de l’imaginaire, un travail de rêverie romantique pour artiste promeneur, mais bien une manière rigoureuse et patiente d’interroger le rôle, la place et l’essence de l’homme dans son écosystème – ce dont témoigne Tchernobyl Herbarium, œuvre composée de trente silhouettes de plantes irradiées lors de la catastrophe nucléaire de 1986.

 

*Mutation du visible : oeuvre réalisée en partenariat avec l'Observatoire du CNES