EMMANUEL RÉGENT, Les Zones de l'oubli
Bienfaisante magie de l'oubli, qui recouvre les douleurs et les hontes, qui permet de supporter les autres, qui permet de se supporter soi-même !
Romain Rolland, Quinze ans de combat, 1935
L’exposition « Les zones de l’oubli » présente un ensemble de dessins, aquarelles et installations réalisés par Emmanuel Régent, artiste originaire de Nice1.
La ruine et le fragment sont au cœur de son travail. Chaque œuvre présente un bout de réalité figé dans un temps cristallisé : l’homme n’y figure pas, si ce n’est par les débris qui témoignent de son passage et constituent le décor d’une sorte de Grand Tour2 des catastrophes économiques, politiques et écologiques actuelles. Si son travail joue avec les codes de la ruine classique et romantique, il ne véhicule pour autant aucune valeur allégorique ou pittoresque du passé, mais interroge le visiteur sur les (dés)équilibres géopolitiques du temps présent, leur représentation et sa posture face à cela, oscillant entre empathie et oubli.
L’artiste fait de l’actualité médiatique une réserve iconographique. Il y pioche ses images, les interprète et recompose, faisant de la lenteur du dessin un rempart à l’amnésie qui noie ce drames dans l’information spectaculaire. Les milliers de traits dessinés au feutre fin faisant émerger les images du papier blanc transforment la virtualité fugace des pixels en présence et en interrogation.
La même résistance par la lenteur et l’incarnation du geste se retrouve dans ses installations. Ainsi, pour évoquer l’hécatombe tant médiatisée qu’instrumentalisée des bateaux de migrants engloutis dans la Méditerranée, il plonge en apnée à la recherche de débris d’épaves de plaisance coulées au large de Villefranche-sur-Mer, où se trouve son atelier. Il les recueille et les expose, transformant ces déchets marins en monuments (du latin monere : « rappeler, faire savoir »).
La distance entre signifiant et signifié, Cannes et Lampedusa, annule subtilement celle qui sépare notre quotidien de ces catastrophes, questionnant nos « zones de l’oubli », et par cela notre position face au temps présent : un temps fait, comme ses dessins, d’espaces blancs laissant à tout un chacun une possibilité d’y intervenir.
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1. Diplômé de l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris en 2001, Emmanuel Régent est lauréat en 2009 du prix Découverte des amis du Palais de Tokyo et en 2018 de la résidence pour la Fondation Hermès. Son travail est régulièrement présenté au sein de galeries et institutions en France et à l’étranger.
2. Réalisé par les jeunes aristocrates à partir du XVIIIe siècle, le Grand Tour était un long voyage d’éducation à travers l’Europe, à la découverte des antiquités grecques et latines.