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Le Futur expliqué aux Extraterrestres

The Bells Angels (+Aïda Bruyère), Editions Burn~août (+Romain Pereira +Decolonize This Place +Mama Road +Marc Fisher), Davide Cascio, Gaetano Cunsolo, E.A.A.P.E.S (Exploration of the Arriving Alternatives of Extra-Solar Provenance), Yona Friedman, Prosper Legault (+Melchior Tersen +Affect Wins), Enzo Mari, Fallon Mayanja, Robert Montgomery et la sélection de la Fanzinothèque de Poitiers
NO(S) FUTURE(S) _ Cette année, le Centre culturel Jean-Cocteau développe une saison en trois actes intitulée No(s) Future(s), centrée sur la question du futur des générations qui ont eu 15, 18, 20 ou 25 ans ces dernières années. Comment se perçoivent-iels et quelles sont leurs perspectives après la crise sanitaire, face à une situation internationale et climatique préoccupante, tout en ayant une conscience sociale puissante contre les discriminations ? Un parallèle est dessiné avec les années 1970, marquées par les mouvements sociaux de 1968 et la recherche désespérée de changement face à la crise économique (choc pétrolier de 1973) et ses gouvernements conservateurs (de Nixon aux Etats-Unis à Thatcher en Grande Bretagne). La naissance du hip-hop et l’explosion du punk à l’époque, celle du rap aujourd’hui, affirment la même urgence d’une expression de la jeunesse en dehors des carcans institutionnels. Quarante-cinq ans après le « no future » crié par les Sex Pistols dans leur chanson God save the Queen, dans une époque toujours autant marqué par la « crise » que l’on envisage désormais constante et non plus passagère, il faut retrouver une utopie réalisable, comme écrivait l’architecte Yona Friedman en 1975.  
 
DIY _ Blank generation[1] : le punk prêche le vide pour donner place à tous les possibles. « Voici un accord, en voici un autre, en voilà un troisième, maintenant monte ton propre groupe ! »[2], lit-on sur un fanzine photocopié à la va-vite par des kids de 1976. Pas besoin de savoir-faire, il suffit de faire, d’avoir envie et de ne pas avoir peur de se planter. La jeunesse reprend son droit de parole dans un espace libéré de toute norme et normalité, où la poésie est question d’énergie et la marge replacée au centre. Jouer et déjouer les règles, tout casser pour se libérer du formalisme qui cache l’essence des choses : do it yourself! L’ancien slogan publicitaire des passe-temps dominicaux made in USA devient une méthode et une philosophie de vie, le DIY. Tout le monde doit penser, écrire et faire le futur, multiplication horizontale des intelligences et aspirations de chaque individu.  
 
LE FUTUR EXPLIQUE AUX EXTRA-TERRESTRES _ DIY! Le Centre culturel Jean-Cocteau ouvre sa saison No(s) future(s) en faisant de la devise punk son cri de ralliement. Quel futur pour les sans-futur ? No(s)-future(s) ! L’exposition Le Futur expliqué aux extra-terrestres part des pensées radicales (Enzo Mari, Yona Friedman) qui, dans les années 1970, ouvrent la création à l’urgence collective pour imaginer un lieu où penser et dessiner ensemble le futur, au temps où tout et tou.tes affirment sa fin. Détournement du titre de l’ouvrage The Human Being Explained to Aliens de Yona Friedman, architecte-sociologue qui théorise l’auto-planification de l’habitat par ses habitants, l’exposition réunit des œuvres historiques et des pièces contemporaines dans un dialogue qui conçoit l’avenir comme une articulation active, consciente et collective du présent. Gaetano Cunsolo accueille les visiteurs en transformant le jardin d’hiver du centre culturel en une scénographie qui suggère un abri suspendu dans le temps. En adoptant les principes plastiques de la Ville spatiale de Friedman, où la structure doit favoriser l’improvisation dans les formes et les usages, il met en scène une architecture éphémère bâtie avec des matériaux trouvés dans la ville. Déplacement, récupération, urgence : l’essence de l’architecture du futur se développe-t-elle déjà, de manière invisible, dans l’ombre de nos villes ? En 1974, le designer italien Enzo Mari présente à la Galleria Milano l’exposition Autoprogettazione. Surprise : au lieu d’exposer ses dernières créations en ameublement, il fournit à tou.tes celleux qui le souhaitent les plans pour les construire eux-mêmes. Faire pour comprendre, selon les principes de la pédagogie active de John Dewey : ce qui compte, c’est le processus ! Une table et plusieurs chaises reconstruites sur plans par les ateliers de la Ville des Lilas réactivent cette pensée dans un espace-atelier où les publics sont invités à s’installer pour créer des fanzines.
 
Objet éditorial emblématique du DIY né dans le milieu de la science-fiction, puis diffusé grâce au déploiement des photocopieurs Xerox et à la contre-culture punk, le zine permet à tou.tes de publier sans filtres ni validations. Support alliant simplicité et liberté créative, le fanzine garde encore aujourd’hui une grande vitalité, notamment parmi les artistes et les mouvements militants. Une grande salle réunit dans l’exposition une collection de fanzines réalisés pour l’occasion par des artistes sur le thème du futur (EAAPES - Exploration des Alternatives Arrivantes de Provenance Extra-Solaire ; Gaetano Cunsolo et Davide Cascio ; The Bells Angels ; Prosper Legault en colllaboration avec Melchior Tersen et Affect Wins), ainsi qu’une sélection de documents existants (Yona Friedman ; Editions Burn~août en collaboration avec Romain Pereira, Decolonize This Place, Mama Road ; Julien Sirjacq et Aïda Bruyère et une vingtaine de zines proposée par la Fanzinothèque de Poitiers). Une édition de chaque fanzine laissée en libre accès dans une salle à proximité d’un photocopieur permettra aux visiteur.es de les reproduire, en entier ou par fragments, de les recomposer et de transformer. Chaque zine produit par le public sera photocopié et exposé, enrichissant tout au long du projet une réflexion collective autour de nos futurs. Accrochée au mur, une toile du duo The Bells Angels montre une collection de pédales de distorsion, instrument emblématique des courants musicaux expérimentaux, dans un collage-miroir qui suggère la puissance de réverbération que chaque voix peut avoir si partagée et amplifiée.        
Parmi les fanzines en libre accès, le public pourra trouver la transcription et traduction de l’œuvre sonore Afrofuturism de Fallon Mayanja. Issue de la série TransFormer, il s’agit d’un collage d'archives audio qui collectent des voix de personnalités militant pour les droits civiques, en particulier de la communauté noire et LGBTQIA+, mêlant passé, présent et futur. Installée dans une « zone d’écoute » éclairée uniquement par la projection vidéo de paysages futuribles imaginés par l’artiste, cet enregistrement nous invite à une incursion dans l’afrofuturisme, un courant de science-fiction initié par des écrivains afro-américains dans les années 1970 qui abandonne les paradigmes de domination occidentaux pour faire du métissage et de l’intersectionnalité les clés pour imaginer des futurs communs. 
 
« The Future is a Risk of our Hearts » : installé sur la façade du centre d’art, le poème lumineux de Robert Montgomery accueille le public comme la première (ou dernière) étoile qui apparait à l’horizon, rappelant que l’avenir nous appartient et que c’est bien à nos cœurs de l’écrire. The future is unwritten, disait Joe Strummer, chanteur des Clash. Le Futur expliqué aux Extraterrestres est une invitation à y réfléchir et l’écrire ensemble, instant après instant, futur après no future.
 
 
[1] « Génération du vide » : titre du premier album du groupe de punk new-yorkais Richard Hell and The Voidoids, sorti en 1977.

[2] Extrait du fanzine Sideburns, 1976.

Retrouvez la playlist avec les audioguides de l'exposition

Centre Culturel Jean-Cocteau · Le Futur expliqué aux Extraterrestres