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THAT'S ALL FOLKS ! - Simon Psaltopoulos

 
 
Depuis les années 1990, Benjamin Sabatier interroge la relation entre l’œuvre d’art et le contexte socio-économique qui la voit naître. Dans cette dynamique, il scrute avec une indocile lucidité le monde du travail et la figure de l’artiste entrepreneur, devenu tout à la fois dépositaire d’une marque (IBK – International Benjamin’s Kit), producteur d’œuvres « en kit » prêtes à être montées par son acquéreur à l’aide d’un manuel de montage, et concepteur de modules faits de volumes simples et d’objets assemblés. Son travail réactualise en ce sens les réflexions ouvertes par Walter Benjamin sur la disparition de l’aura accordée à l’œuvre d’art, l’héritage du ready-made duchampien et la critique du déploiement, dans le champ artistique, de la rationalité néolibérale depuis les années 1980.

Sur le plan plastique, les œuvres de Benjamin Sabatier semblent tout droit sorties d’un chantier, lieu par excellence du labeur urbain et des architectures de béton. Elles se présentent sous la forme d’assemblages de matériaux sans valeur et d’objets rebuts (peintures industrielles, poutres de bois, sacs de ciments, clous, briques, polystyrène ou serre-joints), métaphores saisissantes (par leurs relations, souvent violentes, et leurs dimensions, monumentales) des situations expérimentées dans nos déambulations quotidiennes – ou subies dans nos relations professionnelles. Ces principes colonisent jusqu’à la disposition des matériaux : minimaliste et minutieusement calculée grâce à des études sur maquettes servant de point de départ des réflexions plastiques de l’artiste.

Paradoxalement, se mêle pourtant aux œuvres de Benjamin Sabatier un esprit caustique, détaché de son (ses) sujet(s). Par les rapports de force inversés qu’elles mettent en jeu (les matériaux fragiles remportent la bataille sur les plus solides, le léger soutient le lourd, la résistance des matériaux est inutile) et l’importance accordée au trompe l’œil, ses œuvres dégagent une ironie sourde. Par ailleurs, le spectateur doute, ne sait jamais de manière catégorique s’il doit s’inquiéter de la tension qui émane des installations ou s’amuser de leur agencement parfois cocasse ; s’il peut se fier à l’apparente solidité des assemblages ou si l’ensemble menace de s’effondrer. Peut-il également se réjouir de l’explosion colorée offerte par l’éclatement des pots de peinture sous les blocs monotones de béton ? Il ne sait, au final, si cette titanesque « bataille » (dont parle Bruno Trentini dans le présent catalogue) est en cours ou annoncée.

Alors, est-ce tout pour aujourd’hui ?